La différenciation sexuée ne serait-elle qu'un mythe?
Définition de L'Identité Sexuée:

Illustration de Yang Liu, l’homme rencontre la femme ; pictogramme critiquant les stereotypes de genre.
L’identité sexuée est le sentiment d’appartenance à un sexe, celui-ci étant défini culturellement par les normes sociales de féminité et de masculinité prescrites à chacun des deux sexes biologiques.
L’identité sexuée se définit donc par degré de conformité que les individus manifestent à l’égard des différentes catégories de rôles qui sont prescrits à leur sexe biologique. Ces rôles de sexe définissent donc les modèles de la féminité et de la masculinité dans une culture donnée, et sont relatifs à la fois aux traits psychologiques et aux comportements (ce que doit être et comment doit être un garçon, une fille, un homme, une femme), mais aussi aux activités sociales réservés à l’un ou l’autre sexe.
Dès la naissance, certes de manière plus ou moins marquée, garçons et filles sont éduqués et socialisés en fonction de ces modèles de masculinité/féminité. Ainsi, l’enfant apprend très tôt à « se comporter comme un membre compétent de sa culture » (Le Maner-Idrissi,). La construction de cette identité implique sa capacité mais aussi son désir d’être conforme aux attentes de la société. Comme le souligne P. Molinier dans son texte, « le sexué s’impose de l’extérieur par le truchement du regard d’autrui, comme exigence de conformité. Normalement, chaque garçon (et l’identité sexuée est le résultat de l’interaction entre facteurs biologiques, influence normative culturelle (médiatisée par l’éducation et la socialisation) et activité structurante du sujet qui ichaque homme), chaque fille (et chaque femme), doit apporter les preuves qu’il, elle, est comme les autres garçons (hommes), les autres filles (femmes). ».
Cependant, selon les étapes de notre développement, selon notre histoire et notre environnement, selon les contextes, nous adhérons de manière plus ou moins conforme aux rôles de notre sexe. Mais ces rôles sont-il interchangables? Comment?
Les Identités Sexuées dans La Fausse Suivante de Marivaux:

Portrait de Marivaux par Louis-Michel van Loo

Edition Princeps

La Fausse Suivante- Livre de Poche
Dans la pièce La Fausse Suivante de Marivaux, l’identification sexuée constitue, pour la plus grande partie, un rôle joué et non pas une multitude d’identifiants sexuels innés et impossibles à échapper. L’intrigue de cette pièce est la Suivante: Lors d'un bal masqué, une jeune fille se travestit en Chevalier ; sous cet habit elle fait la connaissance de Lélio, l'inconnu qu'on lui destine pour mari, et de la Comtesse qui l'accompagne. Elle décide de profiter de son habit d'homme pour observer Lélio à son aise et en savoir plus sur l'état de ses relations avec la Comtesse. Elle engage à son service Trivelin qui découvre son identité, mais pour moitié seulement : elle lui fait croire qu'elle est une suivante envoyée par sa maîtresse. Trivelin monnaye son silence contre de l'argent, tout comme Arlequin d'ailleurs lorsqu'il découvrira à son tour la nature de ce Chevalier. La fausse suivante parvient cependant à soutenir son travesti face à la Comtesse et à Lélio. Elle ne tardera pas à apprendre que Lélio et la Comtesse se sont engagés réciproquement à se verser, au cas où ils ne s'épouseraient pas, un dédit de 10 000 écus. Or Lélio pense faire un meilleur mariage en épousant la jeune fille qu'on lui a promise, plus riche que la Comtesse. Il propose donc à celle qu'il prend pour un jeune chevalier sans fortune d'épouser la Comtesse à sa place. La jeune fille se rend compte à quel sinistre individu elle a affaire, elle décide de rester cependant pour « punir ce fourbe-là et en débarrasser la Comtesse... » . Elle réussit à séduire la Comtesse et à punir Lélio. Celui-ci, ayant au début de la pièce deux propositions bénéfiques de mariage, se retrouve à la fin sans aucune proposition du tout. Voici une jeune fille déçue et blessée que rien n'arrête : elle travestit d'abord son sexe puis son rang.
Ceci montre que même au 18eme siècle, à l’époque où la société a été beaucoup plus conservative que celle d’aujourd’hui, le sexe a quand même été vu comme un des rôles qu’il faut jouer, tel le rang social. Marivaux nous montre ici à quel point c’est facile d’adopter le rôle du sexe opposé, et de réussir à tromper tout le monde. La seule chose qui trahi l’identité véritable du Chevalier est son mauvais choix de confidents, mais elle a réussi à séduire la Comtesse et à gagner la confiance de Lélio. Le secret du succès du Chevalier n’est pas dans la manière dont elle est habillée, quoique ceci soit très important, ça reste utile que du point de vue esthétique. Le chevalier doit également changer son caractère, et ce qui rend la tâche aussi facile est le fait que la plupart des individus sont très conformes aux normes de leur sexe, c’est-à-dire aux stéréotypes qui les identifient et définissent. Ceci est vrai de nos jours, mais a été d’autant plus vrai à l’époque.
Ce qui définit le caractère d’une femme de l’époque est la grâce, la docilité, l’élégance, la passivité et le besoin insatiable de plaire à l’autre sexe, ce qui ont le pouvoir, car ils sont les seuls qui peuvent aider la femme à subsister, la garder en vie et donc à leur service. Cet aspect rend le travestissement du Chevalier beaucoup plus facile, car celle-ci désire être indépendante. Elle prend les traits de caractères définis par la société qui constituent l’homme réussi, car avoir du succès en tant que femme et en tant que homme apportent des choses différentes, mais dans les deux cas c’est une réussite à être conforme et à porter le masque qui définit le rôle qui nous est imposé.
Ce qui définit l’homme est la confiance en soi, le courage, l’ambition, l’activité, un homme est virile s’il est exigeant et désiré par le sexe opposé. Celui-ci, n’ayant pas le droit au pouvoir, logiquement, définit la virilité par la force, physique mais aussi par rapport aux autres, plus de pouvoir signifie une réussite en tant qu’homme, et l’argent est le pouvoir. Le Chevalier est alors un homme très réussi, car très riche.
Marivaux prouve, entre autres, que le sexe est pour la plupart, une prétention, un rôle que les gens jouent, croyant qu’ils ne peuvent pas y échapper. Il prouve que les deux rôles qui sont proposé, homme OU femme, sont en réalité homme ET femme, car ils sont interchangeables. Toutes les limites sociales qui définissent les sexes sont, certes, des obstacles pour la liberté mais facilitent énormément le passage entre les deux possibilités, car on peut d’autant plus facilement adopter un comportement différent, un masque différent que les deux options sont décrites et limités. C’est pour cela que le Chevalier est un homme aussi réussi, car tous les hommes ont une base identique qui les définit en grande partie, et il suffit d’être l’archétype et d’ajouter quelques traits personnels pour être plausible dans son rôle.
Par contre, le point que Marivaux n’a pas abordé est le fait que le sexe n’est pas simplement une division binaire, et que peut-être il existe d’autres options, beaucoup moins discutées à son époque. Cette dichotomie n’est qu’une transmission de ce que doit être l’identité sexuée, par les parents et plus généralement par la société, et non pas ce qu’elle est en réalité.